Par Jacques Ferber.
Le point clé du développement spirituel, c’est l’union avec tout ce qui est, en étant «dans le flux» de la Vie. Il ne s’agit pas d’accéder à un état particulier, même si cela peut être parfois vécu comme tel, mais de vivre pleinement dans la joie de l’existence. Or, les enseignements les plus profonds (advaita vedanta, tantrisme cachemirien, bouddhisme, yoga intégral, soufisme, ésotérisme chrétien, etc.) le proclament haut et fort: cette joie, sans raison apparente, apparait naturellement lorsque l’on reconnait la Conscience pure qui est en nous, la nature essentielle de notre esprit, sans attachement aux objets, aux personnes et surtout sans identification aux pensées qui vont et viennent dans notre esprit. Alors apparait l’extase qui provient du simple fait d’être (Sat Chit Ananda).
Note: cet article continue la série d’article sur le Christianisme Integral qui avait commencé avec l’article Habemus Papam.
Ce qui nous empêche de vivre cette extase c’est donc simplement le fonctionnement de notre mental, ce mécanisme cognitif qui produit «nos pensées» et qui, ce faisant, nous déconnecte de la Réalité, de la Vie telle qu’elle est dans son authenticité, au delà des mots.
Mais pourquoi avons nous ce mental? Si la libération se situe au delà du carcan de nos croyances, pourquoi avons nous ces pensées qui n’arrêtent pas de trotter dans notre tête? N’aurait-il été pas plus facile à la Nature ou au Créateur de nous constituer sans ces pensées? de nous laisser dans notre nature première, libre de tout attachement?
En réalité, le mental est indispensable à notre construction en tant qu’humain. C’est une partie importante de notre esprit car c’est grâce à lui que nous sommes capables de résoudre des problèmes pratiques, d’élaborer des théories, de comprendre le monde. C’est à partir d’un fonctionnement sain du mental que la science s’est développée, que le savoir s’est substitué aux superstitions ou aux opinions. Le monde contemporain n’a rien à voir avec celui de nos grands ancêtres qui vivaient dans des cavernes. Tout ce que nous voyons autour de nous a été créé grâce à l’intelligence de notre mental. Notre système cognitif, en étant capable d’utiliser nos expériences passées pour planifier les actions futures, nous donne la possibilité d’agir en prévoyant les coups durs: les céréales sont semées en automne mais récoltées en été, le bois de chauffage est rentré en été, mais utilisé en hiver. .
Sans mental pas de création intellectuelle, pas de philosophie ni de littérature, pas d’écrits, ni de récits et encore moins de théâtre ou de cinéma. Pas non plus de justice et de droit, ni de démocratie. Nous avons bénéficié des bienfaits du développement du mental sur le plan de la santé et du bien être. Les disettes n’existent plus, l’espérance de vie s’est considérablement allongée et nous vivons plus vieux et en meilleure santé. Nos maisons sont chaudes et relativement confortables (quand j’étais à l’école primaire, dans les années soixante, j’avais des copains, d’origine modeste, qui vivaient dans des appartements sans salle de bains. Les membres de la famille se lavaient dans une bassine dans la cuisine. Et c’était à Paris. Ce n’est même plus imaginable de nos jours). Le progrès technologique a fait un tel bon, que nous vivons maintenant avec des systèmes de communication extrêmement sophistiqués sans nous en apercevoir alors qu’ils auraient été pris pour de la magie il y a quelques siècles.
De ce fait, le mental est précieux et le résultat d’une évolution considérable par rapport au règne animal: les grands primates, nos cousins si proches de nous, n’ont pas développé tout cela, et même quand on leur apprend un langage symbolique, ils ne l’utilisent que fonctionnellement car, comme l’a montré D. Lestel, ils n’ont rien à dire1.
En fait, le règne animal est inconscient de sa propre nature. Il vit dans le jardin d’Eden de la Bible. Tout cela aurait pu continuer ainsi, mais il y a environ cent mille ans, des traces archéologiques de rites funéraires attestent que l’être humain pris conscience d’être mortel. Ce fut la sortie du paradis. Symboliquement, en mangeant de «l’arbre de la connaissance du bien et du mal», c’est à dire en développant ses capacités cognitives et notamment le langage qui permet de décrire le monde en faisant des distinctions (chaud et froid, lumière et obscurité, fort et faible, ..), il est sorti de son inconscience initiale qui est le lot des autres animaux. Mais ce faisant, il se sentit faible et il eu peur de tout ce qu’il ne comprenait pas, de tout ce qui vivait autour de lui et dont il se sentait de plus en plus séparé. Du fait de ses capacités de planification et de prévisions de l’avenir, il craignit l’inconnu et plus particulièrement de tout ce qui est obscur et noir, là où de nombreux dangers guettent. Et surtout, il su qu’il allait mourir. Cela lui provoqua une angoisse extrême et il chercha à répondre à son angoisse en utilisant l’outil qui était tout le temps à sa disposition: son mental.
Et en faisant cela, il commença à nommer et à décrire ce qui l’entourait. Il fit des classements et ordonna les choses. Il fit des liens entre tout ce qu’il apercevait et qu’il vivait, et tenta de donner une sens au mouvement des astres, aux éléments naturels et aux changement de saison. Pour diminuer cette angoisse, il créa des rituels pour se donner une impression de contrôle vis à vis de son environnement. Petit à petit, alors qu’il développait ses technologies et ses capacités à décrire le monde, les mythes prirent leur essor et les religions apparurent.
L’apparition de la culture
Le langage se développa comme les concepts. Petit à petit, tout s’exprima en mots: les comportements acceptables furent érigés en normes puis en lois, et malheur à celui qui dérogeait à ces règles. On créa des assemblées, des tribunaux, bref des institutions pour garantir l’application de ces lois.
L’être humain produisit peu à peu ce qu’on appelle une culture, c’est à dire un ensemble de normes, de croyances, de concepts, de visions du monde qui nous font considérer comme «normal» et «évident» ces normes et cette vision du monde, au point tel qu’elle devient invisible. Nous avons tellement l’habitude de porter des lunettes (ou plutôt même des verres de contact) que nous ne sommes pas conscient de les porter. La seule manière pour commencer à voir cette évidence, qui est en fait un construction, c’est de prendre de la distance, d’aller dans d’autres pays et, comme Montesquieu dans ses Lettres Persanes voir notre société à partir d’un autre point de vue. Et ce qui parait si évident depuis une culture (par exemple, manger tous ensemble en famille ou ne pas donner de gifle aux enfants) peut paraitre bizarre depuis une autre culture (où chacun se fait à manger quand il a faim, où une gifle est considérée comme un acte éducatif comme un autre).
Une culture décrit avant tout ce qui est acceptable ou non, elle décrit un ensemble de valeurs considérées comme souhaitables ou valorisées et d’autres qui sont dénigrées. Elle apparaissent sous forme d’opposition (bien/mal, gentil/méchant, pur/impur, sacré/profane, juste/injuste, sain/pathologique, fonctionnel/inutile, ouvert/fermé, etc.) qui expriment des oppositions autour de la notion du Bien , c’est-à-dire ce qui conforme à l’idée qu’on se fait de l’être social idéal, par opposition à celui qui est «soumis à ses pulsions», «inconscient», «irrationnel», «asocial», etc.
Mais une culture n’est pas seulement caractérisée par un ensemble de contraintes: elle donne aussi du sens à l’environnement. Elle offre un panel de concepts et d’idées pour appréhender ce qui nous entoure en nous permettant de nommer les choses, de décrire des sentiments, de définir des concepts collectifs qui structurent notre vie. Par exemple l’opposition animal utile/nuisible n’a plus cours aujourd’hui alors que la notion d’espèce menacées n’existait pas au début du XXème siècle.
L’apparition d’un mot renvoie à un concept, et l’on est souvent surpris de savoir qu’avant cette notion n’était pas présente à l’esprit, alors que d’autres disparaissent petit à petit comme celle de «patrie» par exemple. Elle avait tant de sens pour mon père qui avait connu deux guerres, mais elle n’en a jamais eu beaucoup pour moi qui a grandi dans les années 70 et je vois qu’elle n’en a plus du tout pour les jeunes qui vivent dans l’Europe et la mondialisation.
Enfin, la culture est liée au développement économique et technique en l’orientant dans telle ou telle direction, en favorisant ou freinant son essor. Les chinois avaient inventé la poudre bien avant les occidentaux, mais ils ne l’utilisaient que pour des feux d’artifices. Il fallut que des intermédiaires comme Marco Polo l’introduisent en Europe pour que cela soit transformé en poudre à canon. Autre exemple très connu en sociologie: comme l’a montré Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, le développement de l’économie capitaliste au 19ème siècle a été favorisée par la culture protestante, qui a insufflé un esprit d’entrepreneuriat dirait-on aujourd’hui, où le travail porte une valeur en soi, indépendante de l’usage qui est fait des revenus (les entrepreneurs ont parfois une vie presque ascétique pour «réussir»). C’est cette valeur, reliée directement à la conception protestante du salut des âmes, qui serait à la source de l’expansion plus importante de l’économie capitaliste dans les pays à forte majorité protestante par rapport aux pays catholiques. Et les exemples sont légions…
Après l’Eden, l’enfer sur terre
Le premier miracle, comme l’exprime Richard Moss 2, c’est d’être sorti du jardin d’Eden, de l’animalité, d’avoir développé une pensée et une culture. Mais comme le prévoit la Genèse, la sortie de ce Jardin s’est transformé en un enfer: les êtres humains se sont entre-tués, comme le montre l’allégorie du meurtre d’Abel par Caïn, mais ils ont aussi développé la culpabilité («l’oeil au fond de la tombe regardait Caïn, comme l’écrit Victor Hugo). Les femmes ont enfanté dans la douleur comme le précise bien la Genèse. Et cela est dû aussi au développement cognitif: la boite crânienne du bébé est trop importante pour le bassin de la femme, et l’enfant, en venant au monde passe tout juste. De ce fait, les bébés viennent au monde pas encore «finis» ce qui fait qu’ils terminent leur développement embryonnaire en dehors du ventre de la mère (comme le montre la «fontanelle» cet os qui ne se soude que quelques mois après la naissance et qui permet au crâne du nourrisson d’être un peu flexible lors de la naissance), ce qui donne à l’environnement un rôle encore plus considérable dans le développement cognitif comparé aux autres mammifères qui arrivent «finis».
L’être humain a soumis ses congénères par l’esclavage et la soumission. L’Homme a été un loup pour l’Homme, en tuant, violant et massacrant un grand nombre de ses congénères, ce qui est pratiquement absent dans le monde mammifère. Or cette violence s’explique ici encore par le développement cognitif. D’après K. Lorentz3, c’est justement l’accroissement du cortex cérébral qui a déconnecté les inhibitions instinctives qui ont cours dans le monde animal: lorsque deux cerfs mâles combattent c’est pour décider de celui qui aura la «chance» de procréer. Mais le perdant n’est jamais tué. La violence est contenue à l’intérieur de certaines limites qui ne vont jamais jusqu’à la destruction de l’autre. Il n’y a pratiquement que l’Homme qui a développé une telle violence et une telle cruauté envers les membres de sa propre espèce. Il n’y a que chez les chimpanzés, les mammifères les plus proches de nous, qu’il existe des razzias et des meurtres collectifs4, ce qui tendrait d’ailleurs à accréditer la thèse de K. Lorentz.
Et si le développement cognitif a été à la source de cette violence, c’est en même temps la culture qui a développé la justice et les lois pour venir freiner les pulsions. C’est ainsi que les constructions humaines, fondées sur le raisonnement et sur des idées d’égalité notamment, sont venues résoudre sont venues pour maitriser ce qui avait été libéré lors de la sortie du Jardin d’Eden.
Mais cette culture, qui a permis de pacifier les rapports sociaux est aussi une forme de conditionnement qui s’est installée de manière invisible dans nos sociétés permettant de faire supporter au peuple sa condition. Le pouvoir de Louis XIV apparaissait comme naturel par la population de l’époque, car il était issu de droit divin, alors qu’aujourd’hui, nous nous rebellerions contre un tel autoritarisme.
Néanmoins, notre situation n’est pas meilleure, car nous avons développé des systèmes économiques qui nous enferment presque encore plus que la Bastille de l’ancien régime. Google n’est-il pas un «Big Brother with a smile» qui connait tout de nous? Et quand je fais des courses à l’hypermarché, je me demande vraiment où se trouve ma liberté, si elle est réduite à choisir entre le produit de marque et celui de l’enseigne, sachant qu’ils sont peut être fabriqués par le même industriel qui ne pense qu’à son profit sans tenir compte de l’environnement et de l’humanité dans son ensemble.
La culture nous sauve d’un côté, la culture nous enferme de l’autre. Le développement cognitif est à la fois une aubaine pour nous avoir donné cette première conscience d’être, et une horreur lorsqu’on voit ce que l’être humain a accompli contre ses semblables et contre l’environnement avec de telles capacités. Il nous a donné une certaine marge de liberté par rapport à l’instinct, cette «connaissance du bien et du mal», mais il nous a plongé dans le Samsara, l’enfer sur terre, grâce à la puissance de notre mental. C’est cela pour moi la «chute» de l’être humain: la déconnexion du divin, la séparation d’avec la Vie liée à la puissance de notre développement mental et culturel. Ce n’est pas une «faute originelle» qui serait entachée à chacun d’entre nous, mais simplement le corrélât de l’essor de notre intelligence, de cette évolution incroyable qui n’a fait que s’accélérer depuis que ce primate que nous sommes est devenu «sapiens» et qu’il a commencé à s’éveiller au monde.
Nous verrons dans le prochain chapitre de cette série, le chemin que tente de faire l’humanité, avec ses merveilles et ses échecs, pour aller vers la Conscience et l’Amour, et vivre le «salut» que proposent les grandes religions.
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1 Dominique Lestel. Paroles de singes Ed. La découverte. 1995
2 Richard Moss, Le deuxième miracle, Souffle d’Or, 1997.
3 Konrad LORENZ, L’agression, une histoire naturelle du mal, Flammarion, Champs, 1977
4 Lire par exemple l’article: http://news.sciencemag.org/plants-animals/2014/09/why-do-chimps-kill-each-other
Merci Jacques, un bon post. On ne peut malheureisement pas nier que notre espèce se trouve á la cime de la chaîne alimentaire … Parce qu’elle est capable de manger tous les autres, y compris les siens ! C’est la loi du plus cruel, du plus avide, du plus ambitieux qui règne encore de nos jours dans la plupart des cultures de notre planète. Mais on ne peut pas oublier non plus, comme tu l’exposes fort bien, que de l’autre coté de la balance, dans cette dualité diabolique, se trouve dqns la même proportion cette capacité infinie à aimer, comprendre, créer… Ange et démon. La bonne nouvelle, c’est au.on peut choisir !
Super texte.
Pour ma part cette chute C est passée en nous cette division de notre animalité avec notre divin en nous.
Laissant place à une structure cérébral d esclave et de non respect de la vie.
En enfouissant notre animalité élaboré et propre en un inconscient qui filtre désormais le bien du mal pour la société et non pour nous.
Se retrouver passe par des crises des souffrance des désillusion
Et beaucoup de méditation pour nous aligner. Retrouver notre conscience aussi diminuer de tant d interdit et de la peur de nos idées trop original.
Nous avons une tête mais pour certains elle ne serve que pour le loto et les outils à rassembler pour notre vie économique.
Car notre âme a été vendu à une conscience extérieur à nous cette conscience de la surface cette croûte de notre image. Et de notre valeur en or. Mais plus de notre valeur de faire du bien. Soigner ou créer