par Jacques Ferber

Je suis très étonné et peiné par l’utilisation de la science dans le monde New Age. Il ne s’agit pas de dénigrer ce mouvement, bien au contraire: la plupart de mes amis appartiennent à ce mouvement (au sens large du terme), j’ai publié un livre dans une édition de cette mouvance, et pour ma part je flirte aussi beaucoup avec le New Age. J’ai pu constater que le terme New Age n’a pas bonne presse, même dans le milieu New Age (ce qui et un comble), mais pour moi je n’y met aucun sens péjoratif. C’est juste une étiquette pour décrire un mouvement associé aux “creatifs culturels” et qui pose la venue d’une nouvelle conscience sur Terre. Je considère que, globalement, le mouvement New Age est très souvent à l’avant garde du développement individuel et collectif, qu’il sait mettre en garde la population sur un ensemble de dangers liés à l’utilisation sans mesure de la technologie (nucléaire, ondes électromagnétiques, OGM, nourriture peu saine, etc..) et qu’il propose un mode de vie plus harmonieux et plus relié à la spiritualité. Mais ses intuitions réelles, bénéfiques d’après moi pour l’humanité, utilisent souvent des explications de type pseudo-science qui le desservent et empêchent sa diffusion dans les milieux plus rationnels.

Je prendrais un exemple que je trouve pertinent: la théorie de la résonance morphique. Cette théorie, qui a été développée par Rupert Sheldrake, postule que les structures, les formes et mêmes les lois de la nature ne sont pas immuables mais dépendent de mémorisation de structures et formes semblables dans le passé. La particularité de ce phénomène c’est qu’il agit de manière non-locale, en contradiction avec les modèles scientifiques. Comme c’est un scientifique il cherche des résultats empiriques qui viennent corroborer ses hypothèses. A priori, pourquoi pas. Nous savons qu’il existe des mécanismes d’action à distance: la mécanique quantique le montre au niveau subatomique, l’électromagnétisme et la gravité montrent qu’il existe des champs qui font interagir des corps à distance, sans qu’il y ait un contact direct. Néanmoins, ces champs ont une intensité qui décroît en fonction de la distance (généralement en fonction du carré ou du cube de la distance) et on peut mesurer ces champs de manière très précise, ce qui n’est pas le cas des champs morphiques qui ne sont ni matériels ni mesurables.

Là où il y a “pseudo-science” d’après moi, c’est quand on utilise des arguments de type “aucune autre explication scientifique actuelle ne peut expliquer ce phénomène, donc cette théorie est vraie” (ce n’est pas le discours de R. Sheldrake qui cherche au contraire des validations empiriques, mais celui de beaucoup de personnes dans le mouvement New Age). En général, cet argument n’est pas tellement étayé, et la science avance vite, donc ce qui n’est pas expliqué en 1950 peut l’être en 2000 ou en 2020. Il faut se méfier de ces “trous” de la science et ne pas vouloir y poser toutes les explications pseudo-scientifique en les posant comme contradictoires avec les concepts scientifiques. Gardons à l’esprit, qu’il est difficile de prouver que l’on ne peut pas prouver quelque chose!

Je prend comme exemple le vitalisme qui a été très à la mode jusqu’au début du 20ème siècle. D’après le vitalisme, le fonctionnement de la vie ne peut pas s’expliquer simplement en termes physico-chimiques. Il y a quelque chose de plus, une sorte d’énergie vitale qui lie le vivant et qui explique qu’il forme un tout. Très en vogue avant Pasteur (on essayait d’expliquer la génération spontanée), il a perdu de son influence avec les découvertes de la biologie. La cellule et l’hérédité ont été le dernier rempart du vitalisme dans la première moitié du 20ème siècle avant que la découverte de l’ADN et de ses mécanismes ne viennent jeter un discrédit majeur sur toutes les explications vitalistes.

En fait, les vitalistes ont raison, quand ils utilisent leur concepts comme une manière de regarder le monde, pour voir au-delà des apparences et des formes de pensées réductrices qui sont véhiculées par le mécanicisme (tout peut être réduit à des mécanismes physico-chimiques): lorsqu’on regarde l’ensemble du développement d’un être vivant ou des espèces, tout se passe comme s’il y avait un élan vital qui s’exprimait au travers de ce développement. Mais au niveau micro, lorsqu’on regarde précisément, on constate aussi qu’il s’agit de tout un ensemble de mécanismes élémentaires très simples, mais qui, bout à bout, donnent lieu à une émergence de phénomènes globaux, à des formes particulières. L’hémisphère droit du cerveau, sensible aux formes, voit l’élan vital dans le développement des structures, alors que l’hémisphère gauche, analytique, ne considère que l’articulation des mécanismes élémentaires qui agissent de manière sous-jacente.

Il en est de même d’après moi avec les champs morphiques de R. Sheldrake. Tout se passe comme s’ils existaient car, à un certain niveau, on peut interpréter les évolutions des formes comme des mécanismes de résonance morphiques, même si, au niveau élémentaire on peut trouver des explications mécanismes. Prenons un exemple qui est souvent mis en avant par les promoteurs des champs morphiques: une découverte réalisée quelque part aura tendance à se propager et pratiquement en même temps d’autres chercheurs, pourtant sans liens entre eux d’aucune sorte, vont faire les mêmes recherches. Cela arrive très souvent. On se dit oh, c’est magique, donc il doit y avoir une explication magique d’action à distance. En fait, quand on est dans la recherche ce phénomène intervient constamment: pour ma part, il m’est souvent arrivé d’avoir eu des idées et de me rendre compte que finalement quelqu’un l’avait dit juste un peu avant moi, pratiquement dans les mêmes termes. J’étais tout simplement en train de “réinventer la roue” comme on le dit souvent. Cela arrive tellement souvent que ce sont en général les directeurs de thèse et le fait d’aller en conférence qui permet de limiter ce phénomène. Pour moi, il n’y a rien de magique ou de résonance morphique là-dedans. Les chercheurs ont en main un certain nombre de concepts existants et ils cherchent à résoudre un problème. On pourrait caractériser des “types” de chercheurs en fonction de leur mode de pensée, de leur manière à traiter et à combiner des informations externes, d’utiliser leur intuition, de sélectionner ce qui leur apparaît comme une “bonne” idée. De ce fait lorsque deux chercheurs du même “type” vont disposer des mêmes informations et chercher à résoudre les mêmes problèmes, il est tout à fair normal qu’ils aboutissent à des solutions et à des concepts voisins sans qu’il y ait besoin d’explication de communication à distance. Dès que les conditions sont remplies, des solutions vont émerger en plusieurs points du globe et certaines seront très semblables. Tout se passe un peu comme des sosies physiques: les deux formes se ressemblent mais elle n’émergent pas du même pool génétique.

Cela n’empêche pas d’utiliser le concept de résonance morphique à un niveau plus “macro”: tout se passe comme si chaque découverte créait un champ de possible qui va faciliter les autres découvertes semblables. Et cela est vrai pour toute action individuelle: chaque fois que nous agissons d’une manière ou d’une autre, nous changeons le monde a
u niveau collectif, car nous influençons le monde par chacune de nos actions, de nos croyances, de notre manière d’être. Si l’on veut avoir une théorie analytique, il sera possible de tracer toutes les petites interactions qui font que nous influençons notre entourage et que nos idées et notre comportement se diffuse en ayant finalement un impact – parfois très léger – sur le collectif. Mais si l’on en reste au niveau microscopique, très élémentaire, on ne voit pas l’ensemble et les formes qui émergent de ces petites actions. Dans ce cas, il est préférable d’utiliser une explication de type “champ”, et de voir finalement comment nos actions modifient ce champ de forme, et se diffusent comme si elles se transmettaient à distance. Le “comme si” est fondamental: c’est le moment où l’on peut intégrer deux théories, deux visions différentes et voir ensuite comment elles se connectent, comment elles sont reliées.

Je voudrais prendre un autre exemple pour montrer la relation qui existe entre une perception de champ et les mécanismes sous-jacents. Dans le domaine de la robotique collective, où l’on fait interagir de nombreux robots, on utilise parfois des modèles à base de champs de potentiels. Cela a été développé à la fin des années 80 et j’en parle dans mes cours sur les systèmes multi-agents. J’ai même encadré plusieurs thèses sur ces sujets. (j’en ai aussi parlé dans mon livre sur les systèmes multi-agents que vous pouvez télécharger ici). Le principe est simple, on considère que chaque robot, chaque chose, chaque lieu émet un signal dont l’intensité est variable. Ces signaux, lorsqu’il sont combinés créent un champ qui peuvent être interprétés par les autres robots pour leur déplacement. Par exemple un robot en panne, peut envoyer un signal qui va modifier ce champ, ce qui va contribuer à ce que les robots présents viennent auprès du robot en panne pour l’aider. Inversement, dans leur déplacement, chaque robot envoie un petit signal répulsif, ce qui, interprété correctement par les autres robots va constituer une répulsion afin d’éviter les collisions entre robots. En fait, le champ n’existe pas: il n’y a que des signaux qui sont envoyés dans un médium quelconque. Mais chaque robot, en combinant les signaux reçus, va disposer d’une image globale sous forme d’un champ contenant des zones attractives et répulsives, et il va simplement évoluer dans ce champs, son comportement modifiant la forme du champ et donc les influences que les autres robots vont recevoir. Chaque robot évolue dans le champ et le modifie par son comportement. L’ensemble de interactions va donner lieu à des formes collectives tels que des comportements de meutes (flocking) sous forme de file indienne ou de horde dans lequel une série de robots se mettent à se suivre les uns les autres tout en évitant des obstacles. Il n’y a pas de magie, mais simplement émergence de phénomènes dont l’explication peut être donnée à un certain niveau par l’utilisation de champs, bien que ces champs ne soient pas matériels: ils sont créés par la recombinaison d’informations plus élémentaires qui donnent l’impression que les robots évoluent dans un système de champs. Donc ces champs existent, puisqu’ils sont “vus” par les robots pour déterminer leur comportement, et n’existent pas car ils n’ont pas de support matériel direct.

Cette notion de niveau d’appréhension est très important pour comprendre à la fois les pseudo-théories new-age et leur rejet par les scientifiques orthodoxes, chacun jetant l’anathème sur l’autre. Les énergies subtiles perçues par les pratiquants d’arts martiaux, de yoga et d’une manière générale de toutes ces nouvelles pratiques fondées sur ce que l’on appelle l’énergétique, existent au sens où on peut les percevoir, les amplifier, agir à partir de ces perceptions. Mais en même temps, les orthodoxes ont raison de dire que ce sont de élucubrations car les explications qui sont données par les new-age ne peuvent pas se relier à ce que l’on connaît du monde. Chacun parle son langage sans voir qu’il existe des liens entre ces deux approches et que leur “vérité” ne se situe pas au même niveau: les new-age perçoivent certaines choses de manière subjectives, à partir d’une appréhension globale du monde, alors que les scientifiques orthodoxes veulent une vision objective et locale. Les premiers en fait intègrent tout un ensemble de signaux pour un donner une image simple et intégrée (ce que fait très bien le cerveau droit), alors que les scientifiques cherchent à obtenir quelque chose de décomposé et de mesurable (ce que fait très bien le cerveau gauche).

De ce fait, il me semble que la voie d’avenir est celle de l’intégration de ces deux hémisphères du cerveau et de l’intégration des “pseudo-sciences” à la science. Non pas pour dire que les théories de ces pseudo-science doivent être prises telles qu’elles, mais qu’elles doivent être comprises comme des manières de voir intégrées qui sont fondées en dernier ressort sur des mécanismes pour certains bien connus, sans que l’on doive faire intervenir des explications “vitalistes” ou “magiques” au niveau élementaire. C’est ce que font très bien ces nouveaux domaines scientifiques telles que la psycho-neuro-immunologie (à ce sujet lire ce merveilleux article de Nouvelles Clés) ou l’épigénétique qui relient les deux modes de pensée ou plus exactement trouve un lien entre ce qui est vécu par un individu et les mécanismes matériels sous-jacents. La magie, s’il y en a, est 1) dans nos capacités cognitives à la fois limitées mais aussi intégratrices de tout un ensemble d’informations, et 2) dans l’interaction à tous les niveaux (moléculaires, organismes, individuel, sociétal, etc..) qui font émerger des formes nouvelles inexistantes au niveau individuel. La science a besoin de ces visions intégratrices qui poussent l’humain à se dépasser et à voir au-delà du matérialisme élémentaire, et inversement les nouveaux mouvements spirituels ont besoin d’ancrer leurs visions novatrices dans une approche scientifique plus analytique, sans trop recourir à des explications magiques.. ou alors savoir mieux utiliser le “tout se passe comme si” qui permet de relativiser ces théories.

En d’autres termes, les explications New Age voient la beauté de la cathédrale dans sa beauté, en ignorant la manière dont cela a été construit, alors que les scientifiques voient les pierres et leur agencement, mais ne voient pas la forme globale. Peut être un jour sauront nous faire le lien entre les artistes et les maçons?