Pâques et renaissancePar Jacques Ferber.

En ce week-end de Pâques, il est peut être bon de revenir sur la symbolique de cet événement constitutif de notre civilisation occidentale. Tout en occident est né dans le bassin méditerranéen, entre l’Egypte, la Grèce, les autres peuples antiques, et bien entendu les Hébreux.

Pâques vient de l’hébreu ‘pessah’, qui signifie «bondir au dessus» ou «passage». Dans la religion juive ce passage correspond à l’Exode, au moment où le peuple juif reprend sa liberté en quittant la matrice de l’Egypte, où, bien qu’asservi, il continue à survivre. Mais pour se libérer de ses chaînes et pour vivre réellement, il doit quitter ce lieu qu’il connait pour aller au devant de la terre promise, Israël, en suivant son guide, Moïse. Mais c’est ainsi aller vers l’inconnu, sans savoir combien de temps sera nécessaire, sans avoir même une assurance matérielle de la trouver. Et pendant des siècles, les juifs ont entretenu cette mémoire du départ de l’Egypte. Et tant que le temple de Jérusalem était debout, jusqu’en 70 de notre ère, ils sacrifièrent des animaux en mémoire du sacrifice qu’avaient dû faire leurs ancêtres.

Et parmi eux, un homme, Yeshoua, annonce que la vie éternelle est possible. Il le «prouve» en étant lui-même le sacrifié, le mouton de Pâques, tout en étant le «fils» de Dieu. Trois jours après sa mort, il vit la résurrection, la transformation en un être de lumière. Mais pour renaître, il doit d’abord mourir à son état d’homme «normal» avec ses peurs, ses désirs, ses craintes, ses aspirations, pour accomplir son destin pour être celui vers lequel tant d’hommes et de femmes vont porter leur espoir. Il sait qu’il va mourir et il va au devant de sa mort d’être humain, en accomplissant ce qui doit être «Que Ta volonté soit faite» tout en ayant encore une part d’humain «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné?».

Et sa résurrection[1] nous montre la Voie, nous montre la possibilité de la transformation totale de l’être, à condition que nous soyons prêt à mourir à notre ancienne vie. Bien évidemment, l’Eglise dogmatique ‘Bleue’ (voir l’article ‘habemus papam’ premier volet d’une série d’article sur le christianisme intégral) qui a interprété le sens de l’enseignement de Yeshoua en termes littéraux, comme une opposition entre le Bien (Yeshoua) et le Mal (Judah, les pharisiens, le Sanhédrin, Pilate), a beaucoup de mal à voir l’aspect trans-religieux, archétypal, de ce message. Bien au delà de toute culpabilité, par l’Amour total et inconditionnel, Yeshoua vient ouvrir à la Voie de la Vie au delà de la mort. Et ce faisant, il nous invite à transcender notre peur essentielle, celle pour laquelle l’ego serait prêt à faire n’importe quoi.

En effet, il existe une peur profonde en chacun de nous: la peur de la mort, ou plus exactement la peur de ne plus être, de disparaître, de n’être qu’une poussière qui retournera un jour à la poussière. Nos grandes peurs — abandon, rejet, non-reconnaissance, trahison, jugement, solitude, changement, etc. — ne sont que des manières différentes de traduire cette angoisse. Le simple en esprit (“heureux les simples d’esprit…”) a de la chance: plus prêt de la Source, comme l’enfant ou l’animal, il est inconscient de sa propre mortalité. C’est avec l’âge, que ce qu’on nous raconte devient de plus en plus une évidence: je suis mortel et je peux disparaître à tout instant. Tout les projets que je fais, toute la fortune que j’ai amassée, toutes les expériences que j’ai accumulée ne sont rien devant le mur de la disparition. Et pour éviter de prendre conscience de cette zone d’angoisse absolue où l’on est toujours tout seul, on passe son temps à se divertir (au sens de Pascal) c’est-à-dire à avoir des activités qui vont nous faire croire un moment que tout ce que nous faisons va nous apporter joie et bonheur pour l’éternité. Nous nous créons un personnage, nous cherchons l’amour, la gloire, la beauté («amour, gloire et beauté» ça ne vous rappelle rien ? Wink) et bien entendu la fortune. Mais si celui que nous croyons être nous n’était pas vrai? s’il n’était qu’un rempart pour nous éviter la confrontation avec notre nature profonde? Si tout ce que je prétendais être, pour les autres mais surtout pour moi, était faux? Si toutes mes pensées, toutes mes aspirations, mes désirs, mes craintes, n’avaient pas de fondements? Si toutes les amours que j’ai vécues n’étaient que l’expression d’attirances biologiques, et/ou des demandes d’être aimé(e)? Si tout ce qui forme mon identité n’avait pas de réalité? Si tous mes jugements et tout ce que je pense des autres (et notamment “le mal qu’ils (me) font”) n’étaient que mes propres ombres, prêtes à disparaître lorsque la lumière jaillit?.

Nous nous sommes créés sur cette identité, sur cette manière si particulière de répondre à ce qui se passe autour de nous. Ce que nous croyons être n’est finalement qu’une personnalité fondée sur la peur, les blessures de la petite enfance et l’ignorance de notre vraie nature. Nous nous sommes attachés à des personnes pour recevoir de l’amour ou du désir, à des objets, des idées ou des causes pour être quelqu’un. Pourquoi? Tout simplement pour éviter l’angoisse viscérale que l’on ressent lorsqu’on s’approche de la vacuité de notre être, du Vide cosmique qui est pourtant la présence de la Source, l’essence de l’Etre et que l’on appelle Shunyata en Sanskrit. Tout est bon pour ne pas sentir ce vide abyssal que le moi ne peut approcher qu’en tremblant, car il signe sa dissolution.

Et c’est ce qu’est venu nous apporter Yeshoua: la possibilité justementjesus-rabbit-easter de traverser cette épreuve de la mort par l’Amour. Et au delà de la mort, nous dit-il, il y a la vie dans l’éternité, le Royaume de Dieu, ce que d’autres expriment comme l’éternité de l’instant présent.  Mais pour cela nous avons à nous libérer de nos «péchés». Mais attention, un «péché» ce n’est pas une faute comme le prétendent une lecture littérale et normative des évangiles, c’est-à-dire une «méchantes choses qu’il n’est pas bien de faire», mais ce qui nous éloigne du divin, et notamment de la nature divine qui est en nous. Lorsque nous nous perdons dans une addiction (péché de gourmandise, d’avarice ou de luxure comme on dit dans le catéchisme), ou que nous nous croyons «au dessus du lot» (péché d’orgueil), il ne s’agit pas d’une faute aux yeux de Dieu, comme aiment le prétendre les donneurs de leçon, mais simplement la marque que nous évitons d’aller au centre de notre être, de rencontrer la partie divine qui est en nous.

Mais comment laisser s’exprimer cette partie divine? En mourant à la personne que nous croyons être, en changeant de manière de vivre, en cessant de nous accrocher à nos certitudes, en abandonnant nos désirs infantiles d’être aimé pour aller réellement rencontrer l’autre, et oser accomplir notre destin. Comme le peuple Hébreu, il y a bien longtemps, nous devons quitter notre matrice, c’est-à-dire ce petit nid sécurisé qui nous a nourri pendant un temps, mais qui nous empoisonne maintenant et dans lequel nous ne vivons qu’à moitié, pour oser déployer nos ailes et vivre pleinement. Pâques est ainsi le symbole de la régénération après la mort de l’hiver, de cet hiver que nous avons parfois vécu malgré nous. Nous pouvons nous détacher de notre vieille dépouille et laisser l’oeuf intérieur éclore (autre symbole de la renaissance) pour produire cet être nouveau à laquelle notre âme aspire. Mourir à notre ancienne personnalité, pour renaître lumineux dans l’Amour de la Source, et le Désir de la Vie.

Alors bonne chasse aux oeufs de Pâques! Et bonne rennaissance…


Notes: [1] Que l’on croit à la réalité historique ou non de cette histoire n’a aucune importance ici. Car cela s’inscrit dans une vérité intérieure, symbolique, archétypale, par laquelle le sens profond des choses nous apparait.