Ce petit texte constitue une sorte d’essai (au sens propre du terme, c’est vraiment un “essai” pas quelque chose de fini ni de définitif), de compréhension simple de la philosophie Husserlienne. C’est en lisant “Méditations Cartésiennes” que je me suis rendu compte que Husserl essayait de rendre compte d’une intuition et d’une perception que l’on peut avoir lorsqu’on a fait suffisamment de méditation pour distinguer le Témoin de l’ego, et en d’autres termes de distinguer l’ego transcendantal (au sens de Husserl) de la personnalité et des pensées associées.

Le problème quand on étudie la phénoménologie Husserlienne et qu’on n’a pas fait de méditation, c’est qu’on passe d’après moi, assez à côté du propos de Husserl. Ce qu’il faut comprendre d’abord, c’est que les grands philosophes ont souvent une intuition forte de quelque chose de très important, et qu’ils passent ensuite toute leur vie à essayer de décrire cette intuition en termes philosophiques et ordinaires. Par exemple, il est clair que Descartes, lorsqu’il a eu l’intuition du “cogito”, ce fut une révélation, une expérience mystique. C’était, sans le savoir, une expérience de même nature que le “I am” de la littérature hindoue. Il n’y a rien au delà du “I AM”, il n’y a rien au delà du “je suis”, on ne peut pas aller plus loin sans s’éliminer soi-même. C’est le niveau du Témoin dans le bouddhisme que l’on perçoit en méditation lorsqu’on est totalement détaché de ses pensées : soit que ces pensées aient disparues, soit qu’elles soient simplement vues, sans que l’on s’y attache. (Note :En fait il existe un niveau au delà du I AM qui est la dissolution dans le grand tout, lorsque le Témoin devient un avec le monde, mais ce ne fut pas le niveau de révélation de Descartes, ni celui de Husserl).

Descartes, fait le travail du « qui suis je » sans réellement se poser cette question. En fait, il cherche plutôt à trouver un appui solide à partir duquel il puisse disposer d’une certaine évidence, d’une vérité universelle qu’il ne puisse pas remettre en doute. Ce faisant, il doute de tout :

Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. (Méditation seconde)

Dans le développement spirituel, ce moment de doute absolu apparaît nécessairement lorsqu’on a déjà bien éliminé tout ce que l’on pensait faire partie de sa personnalité, et qu’on se rencontre qu’il ne s’agit finalement que d’habits que l’on a revêtus tellement longtemps qu’on a cru qu’ils faisaient partie de nous. Et le terme «habit» renvoie justement à «habitus» et «habitude», c’est-à-dire à un comportement répétitif qui s’inscrit dans ce que l’on croît être notre personnalité. Mais arrivé à ce moment là, une sorte de vertige nous étreint, un mélange d’ivresse et de dépression. Nous ne savons plus qui nous sommes puisque tout a été détruit. Pour Descartes, il n’y a plus rien de certain. Et pourtant au milieu de ce tournis, de ce vide existentiel qui nous envahit, une certitude apparaît, qui constitue une faible lueur :

Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. (Discours de la méthode 4ème partie)

Ou bien

Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. (méditation seconde)

En lisant ces phrases, on sent que Descartes présente ses résultats comme le fruit d’une réflexion (ce qu’il appelle méditation, mais qui n’a rien à voir avec la méditation telle qu’elle est pratiquée dans la démarche spirituelle). Ce n’est pas la pure évidence d’être seulement une conscience, d’être juste un “je suis”, mais le résultat d’une réflexion sur une proposition : c’est le fait de penser “je suis” qui fait que l’on existe nécessairement. Ce faisant il peut s’adresser à toutes ces personnes qui n’ont pas encore fait le travail de dépoussiérer leur être de tous les jugements, représentations, souvenirs, opinions, formes de pensées qu’ils croient faire partie de leur essence alors qu’il ne s’agit que de formes superficielles qui les ont habitées pendant des années et qui peuvent disparaître en un instant (bon, en général, cela ne part pas en un instant, mais parfois on peut avoir des “peak experiences” où l’on perd sa personnalité sans perdre sa conscience pendant quelques instants. Cela fait très bizarre…)