Il dit une chose très intéressante, sur le rapport entre la culture, le « moi » et la mort. Ce qu’il dit c’est que l’être humain cherche la transcendance, et l’union avec Dieu (sous quelque forme que ce soit), car cela fait partie du processus de développement, du « projet Atman ». L’évolution vers une plus grande conscience est au cœur du processus de croissance. Non pas qu’il y ait une direction précise qui soit donnée, non pas qu’il y ait quelqu’un qui développe chaque barreau de l’échelle de développement d’une manière linéaire, mais simplement que l’accroissement de complexité et la capacité à un certain moment d’apparition de la conscience fait partie directement du processus même d’évolution.
Donc, d’une part, nous avons pratiquement câblé au fond de nous même, sous la forme d’un engramme qui nous pousse à grandir, comme les enfants qui cherchent à être plus grand, mais d’autre part, le développement a justement produit quelque chose de très complexe qui s’appelle le « moi ». Ce moi est fondamental dans le développement de l’évolution, car il permet un certain nombre de choses et de réalisations que les états « pré-ego », ne permettent pas. Mais ce faisant, ce moi constitue à la fois la merveille et l’obstacle du développement. Car ce moi se vit comme séparé des autres moi. Alors que l’animal et le bébé vit dans une sorte d’indifférenciation, l’être humain adulte se vit comme séparé du monde, comme distinct de tout ce qui l’entoure. En fait, c’est cette distinction qui est le produit du développement cognitif (lequel est fondé en premier lieu sur les opérations de distinctions, de classification et de hiérarchisation des classifications, et ensuite sur les opérations d’enchaînement causales (abductives et déductives)).
Mais cette distinction entre soi et le monde a une conséquence importante : le moi ne veut plus mourir, il ne veut plus se laisser aller dans le flux même de la vie. De ce fait, il existe une contradiction et une tension entre d’une part le désir profond de l’individu de s’unir à la Vie, et d’autre part sa résistance due à la peur du moi de mourir. De ce fait, le moi se transforme en ego et il construit un ensemble de substituts symboliques (argent, pouvoir, sexe, biens en tous genres) pour se faire croire à lui-même qu’il est immortel, pour se faire croire à lui-même qu’il est devenu tout puissant, qu’il dirige sa vie, que son corps lui appartient, que ses biens sont « à lui » et qu’il ne peut pas en être déposséder, qu’il est au dessus de la maladie et la mort (qui n’arrivent qu’aux autres).
Ces substituts symboliques sont à la base de ce qu’on appelle la culture, qui prend donc sa source en grande partie dans la constitution d’éléments symboliques permettant au moi de se faire croire qu’il est l’Atman, le Soi.. Comme le dit Wilber (p16 en bas) : « [l’être humain] vit son moi séparé comme étant immortel, central, fondamental, d’une importance totale. De ce fait, il substitue l’ego pour l’Atman. Au lieu de se sentir comme étant la totalité et hors du temps, il substitue le désir de vivre pour toujours, au lieu d’être un avec le cosmos, il substitue le désir le désir de posséder le cosmos, au lieu d’être un avec Dieu, il cherche à jouer à Dieu . De ce fait le projet Atman c’est donc une tentative pour retrouver l’Atman, le Soi, mais une tentative qui en même temps prend le chemin pour empêcher cette reconnaissance du Soi. C’est le désir impossible pour le soi individuel de devenir immortel au centre du cosmos et essentiel au reste du monde (all-important), mais un désir fondé sur une intuition correcte que la proche Nature de chacun est effectivement hors-temps et éternelle. L’Atman project ce n’est malheureusement pas la prise de conscience par l’individu que sa nature la plus profonde est déjà Dieu, infini et éternelle, mais la croyance de l’ego qu’il devrait être Dieu, immortel, niant la mort et tout puissant. En d’autres termes, il y a l’Atman, la nature profonde de chacun, et le Projet Atman, dans lequel le moi voudrait devenir le Soi à lui tout seul.
Le projet Atman est alors à la fois une compensation pour l’apparente (mais en fait illusoire) manque d’Atman, et une pulsion pour essayer consciemment de le recapturer. Il faut donc comprendre deux choses : le projet Atman est un subtitut de l’Atman, mais il contient en même temps une direction pour recapturer l’Atman. Et comme je (KW) vais essayer de le montrer, c’est finalement le projet Atman qui fait avancer l’histoire, fait avancer l’évolution des êtres et des peuples, et fait avancer la psyché individuelle. Et c’est seulement quand le projet Atman arrive à son terme, que le véritable Atman apparaît. C’est aussi la fin de l’histoire, la fin de l’aliénation et la résurrection du super-conscient Tous. »
La mort est alors au centre de ce développement : c’est parce qu’il refuse la mort, que le moi construit tout cet échafaudage qui constitue le projet Atman. Et cet échafaudage, lorsqu’il est partagé par un ensemble de personnes s’appelle la culture. Elle est composée de tout un ensemble de substituts symbolique du Soi (Atman). La Totalité du Soi, qui n’est ni subjective ni objective, mais seulement tout, ne pouvant être réalisée (à cause de la mort de l’ego qui lui est liée), le moi compense par une visée symbolique et subjective visant à faire croire qu’il est le Soi. De ce fait, le moi séparé, est mû par deux forces distinctes et complémentaires : d’une part tenter de perpétuer sa propre existence (Eros) et d’autre part essayer d’éviter tout ce qui peut lui faire craindre la dissolution (Thanatos). Le moi se défend ainsi de toutes ses forces contre sa propre dissolution, sa disparition et son intégration dans quelque chose de plus grand que lui, tout en cherchant à affirmer sa prétention à être au centre du monde, omnipotent et immortel (Eros). Le combat d’Eros contre Thanatos, de la vie contre la mort, c’est le combat de l’affirmation contre la dissolution. Mais du point du vue du moi, l’affirmation du moi, la lutte contre la dissolution devient la Vie (puisqu’il s’identifie à la divinité éternelle), le Bien et la mort devient ce qu’il faut combattre, la Non-Vie, le Mal. Mais cela est une illusion du moi, qui sépare et qui « dualise » les deux principes d’Eros et de Thanatos, Vishnu et Shiva (ou Parvati et Kali) deux forces essentielles et complémentaires du développement humain. Cette lutte d’Eros et de Thanatos constitue la dynamique et la peur fondamentale du moi, lequel s’identifie à Eros (l’affirmation, le rayonnement, la puissance, ..) pour lutter contre Thanatos (l’ombre qui veut dissoudre le moi dans quelque chose de plus grand. C’est ce qu’on appelle parfois la peur « métaphysique » de l’être (qui suis je moi qui vais mourir un jour ?) peur qui ne peut disparaître que lorsque l’individu se dissout dans le grand tout, c’est-à-dire lorsque le moi séparé, l’ego, meurt et se dissout dans le So
i, ce qui est justement sa plus grande peur !!
Le problème c’est que le moi n’arrive pas à se faire passer totalement pour le Soi : lorsque l’individu est malade ou blessé, lorsqu’il perd des biens à cause du « destin », lorsqu’il voit disparaître ses amis, lorsque des êtres chers le quittent, ou qu’il voit effectivement poindre le visage de la mort, alors le masque de l’immortalité et de la toute puissance tombe et il se retrouve seul devant sa propre disparition. C’est la réelle angoisse devant la mort, la peur qui se transforme en effroi : « tu vas mourir !! »
Pour compenser cette peur, le moi, qui est un substitut subjectif du Soi, construit un ensemble de substitut objectifs qui vont lui faire croire pendant un temps qu’il est effectivement immortel et tout puissant : réalisation d’objectifs, possessions, gains, victoires sur les autres, domination, accumulation de richesses qui constituent comme autant de victoires contre la mort. [note : c’est d’ailleurs un des grands thèmes du romantisme que de mettre en jeu des personnages qui luttent contre la mort, lutte bien évidemment vouée à l’échec. Cf. le Septième Sceau où l’on voit un homme qui joue aux échecs contre la mort]. Mais tout cela ne sont effectivement que des substituts, des objets de substitution pour l’ego, pour qu’il croie à sa propre divinité, sa propre immortalité et toute puissance.
Cette manière de penser de Wilber est très parlante d’après moi, car elle permet de relier les aspects culturels aux aspects du développement de conscience individuelle et collective.
bonjour,
je m’excuse d’intervenir sur ce blog philosophique, surtout que la philosophie et moi ca fait deux, mais en regardant sur Wikipedia ce que pouvait bien etre Wilber je m’apercois qu’il n’y a pas d’article Wilber – a part un coyote de BD – … triste 🙂