Je viens d’écouter Michel Onfray sur France Inter. C’est un philosophe intelligent, qui n’a pas peur de ne pas vivre dans la conformité des philosophes universitaires que je connais et qui passent leur vie à découper des confettis en quatre pour analyser tel philosophe par rapport à tel autre. Au moins M. Onfray a du courage : le courage d’affronter la différence, de transmettre la philosophie et de vivre ce qu’il enseigne, ce qui est vraiment rare. En cela, il reprend réellement la traditions des cyniques et des épicuriens grecs.

Comme le dit la quatrième de couverture de sa contre-histoire de la philosophie : « Le point commun de tous ces individus ? Leur goût d’une sagesse praticable, d’un vocabulaire clair, d’un exposé limpide, d’une théorie à même de produire une vie philosophique. A la manière des sages antiques, tous tournent le dos au langage obscur, à la philosophie pour philosophes, aux discussions de spécialistes, aux sujets professionnels pour faire de la philosophie un art de vivre de bien vivre, de mieux vivre. » En cela, Michel Onfray est bien dans la lignée de tous ces philosophes qui essayent de vivre leur philosophie au jour le jour.
En même temps, et tout à fait logiquement, M. Onfray est un grand athée. Il a vécu certainement le pire du christianisme, en passant son début de l’adolescence dans un pensionnat tenu par des prêtres salésiens. On peut comprendre que finalement toute son œuvre soit l’expression d’une révolte contre le platonisme et donc l’idéalisme, et le christianisme en tant que dogme.

De ce fait, à l’en croire, il n’y a que deux voies possibles : soit celle du Dieu extérieur des grands monothéismes, tels qu’ils ont été traduits par les grandes églises, soit celle de la mort de Dieu, au sens Nietzschéen. L’être humain étant seul devant son propre destin, qu’il doit alors prendre en charge à bras le corps. Michel Onfray a très peur d’un retour du religieux. Il le clame sur tous les tons. Comme l’indique la quatrième de couverture de son Traité d’athéologie :
« Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin; haine des corps, des désirs, des pulsions. En lieu et place et de tout cela, judaïsme, christianisme et islam défendent : la foi et la croyance, l’obéissance et la soumission, le goût de la mort et la passion de l’au-delà, l’ange asexué et la chasteté, la virginité et la fidélité monogamique, l’épouse et la mère, l’âme e l’esprit. Autant dire la vie crucifiée et le néant célébré? »

Il n’a pas tort, les religions monothéistes patriarcales ont réellement été tout cela. Elles ont professé la haine de la vie au nom de Dieu, elles ont opprimé des peuples, soutenu les colonisations, soutenu l’esclavage. L’Islam a été un modèle d’impérialisme, le Prophète ayant été, entre autre choses, un grand chef de guerre. Le christianisme a soutenu les croisades, permis toutes les atrocités « Dieu reconnaîtra les siens », l’inquisition, et j’en passe. Le Judaïsme a pour lui le fait que les juifs ont surtout été dominé. Mais dès qu’ils ont la possibilité de dominer, comme par exemple dans le cas de la guerre en Palestine, toute la frange traditionnaliste et intégriste du Judaïsme s’est toujours rangée du côté du rejet des non-juifs (mais il faut bien reconnaître que le judaïsme n’a pas eu la même capacité à détruire que l’Islam et le christianisme).

Mais à côté de ces atrocités, il y a aussi tous ces mystiques qui ont rencontré le Divin, et qui ont tenté d’apporter le message de paix et d’amour qui règne au plus profond de cette démarche. Ce sont François d’Assise, Thérèse d’Avila et Maitre Eckhart notamment dans le christianisme, la voie Soufie dans l’Islam, et la kabbale dans le judaïsme. On notera que dans le christianisme, à l’encontre de deux autres monothéisme, il n’y eut pas de voie mystique bien reconnue. Ce ne sont que des individus séparés, qui n’ont pas eu la possibilité, essentiellement à cause des ennuis que leur hiérarchie leur a causé.

Mais malheureusement, Michel Onfray n’a pas une vision réellement historique et développementale des sociétés et des formes religieuses en particulier. Sinon, il aurait noté que le christianisme notamment a introduit une limite au pouvoir individuel. Bien sûr l’église a combattu la liberté et la vie, mais elle a aussi introduit une notion de lois applicable à tous (la loi divine), et lutté contre le pouvoir du plus fort qui était le mode de fonctionnement des sociétés. N’oublions pas que le père était alors tout puissant : le « pater familias » décidait de tout et avait pratiquement pouvoir de vie et de mort sur toute sa famille, que c’est l’église qui a obligé que les époux donnent leur consentement, un avantage par rapport aux pratiques précédentes ou la femme n’avait jamais voix au chapitre. Le christianisme a lutté et interdit l’esclavage. Malheureusement, comme nous le savons, il l’a autorisé contre les noirs africains, qui n’étaient pas considérés comme des êtres humains à part entière, à la différence des indiens d’amérique du sud. (cf. la controverse de Valladolid).

Avant les grandes religions monothéistes, la notion de culpabilité morale n’existe pas : les comportements étaient directs et brutaux. Quand on voulait quelque chose, on le prenait si on avait la possibilité de le faire. Comme si les individus n’avaient pas encore de surmoi : les pulsions du moi égotiques pouvaient s’exprimer sans aucune contrainte morale. Les philosophes grecs et romains sont en fait les arbres qui cachent les forêts de la condition particulièrement brutale de l’humanité dans l’antiquité. Mais l’antiquité, comme tout ce qui a trait au mode de vie d’avant les religions monothéistes a tendance à être idéalisé. On souvent tendance, en particulier dans les cours de philosophie, à prendre les auteurs grecs comme le mode de vie standard des individus, et à croire que la morale Aristotélicienne était partagée par l’ensemble des personnes. Mais ce n’était pas le cas.

N’oublions pas que même à Athène, l’esclavage, le viol et l’ostracisme envers les femmes (qui avaient surtout le droit de se taire) régnaient en maître, et que seuls un petit nombre de mâles (les citoyens) avaient le droit d’influer sur le destin de la cité. Et on ne parle pas des autres cités !! En termes de Spirale Dynamique, l’humanité était alors au stade égocentrique (rouge), celui des dieux de pouvoir et de la puissance pratiquement illimitée des pulsions égotiques.

Les églises monothéistes ont introduit quelque chose de fondamental : la loi morale. Il existe une loi qui est au dessus des humains et qui guide leur comportement. Cette loi est collective et définit un ordre cosmique a priori dans lequel chacun, à condition qu’il suive cette loi, possède sa place. Les pouvoirs individuels ont été limités et les pulsions de possession sexuelle (viol) et des biens (pillages) ont été limités à l’intérieur de la communauté des fidèles. Malheureusement, cette vision n’allait pas jusqu’à prendre en compte ceux qui ne croyaient pas dans le même dieu. Dans ce cas, les pulsions de meurtre, de viol et de pillage étaient autorisées. C’est ce qui s’est passé dans les croisades et c’est ce qui a permis le commerce des esclaves africains. Donc les églises monothéistes ont diminué la violence à l’intérieur de la communauté des fidèles, ou ont essayé de lui donner un visage rituélique (les combats « chevaleresques »), mais on laissé la violence s’expri
mer à l’extérieur de cette communauté, auprès des athées, des infidèles, des païens et des gentils. En d’autres termes, on est passé d’une vision égocentrique à une conception dogmatique, ordonnée et culpabilisante du monde (Bleu en termes de SD). Bien entendu, cette vision dogmatique est datée : les freins posés aux pulsions agressives ont aussi tué les penchants hédonistes, les aspirations naturelles à désirer et être désiré dans le respect de l’autre. De ce fait, toutes les appétits à la jouissance corporelle, sexuelle notamment, ont été combattu par les églises qui ont vu dans la sexualité et surtout dans le plaisir la marque de Satan.

Mais cette vision dogmatique a déjà été déboulonnée de son piedestal par le développement de la raison, par l’Esprit des Lumières, et par le développement du corps roi au cours du 20ème siècle. L’hédonisme est déjà présent dans la société. Il suffit de lire les magazines pour constater que la jouissance individuelle règne en maître. Michel Onfray n’a plus besoin vraiment de faire l’apologie de l’athéisme et de l’hédonisme : il domine déjà la société. Il ne fait ainsi que de défoncer des portes grandes ouvertes dans les sociétés développées.
La science, la philosophie, et d’une certaine manière la raison ont déjà eu raison du christianisme dans la plupart des pays occidentaux (avec l’exception notable des Etats Unis, mais j’y reviendrais dans un autre post).

Effectivement, l’Islam en France pose un problème, car son développement, surtout dans sa frange intégriste, nous fait revenir au dogmatisme. De ce fait, l’Islam pose réellement un problème, et il faudrait que les islamistes modérés fassent encore plus entendre leur voie, pour qu’il y ait réellement un dépassement de la vision dogmatique classique, pour éviter que cet Islam qui se développe dans les pays avancés ne cause une régression. En même temps, il est important que cette évolution soit effectuée de l’intérieur, c’est-à-dire par des musulmans modérés, car lorsque l’Islam est critiqué par un non-musulman, cela est vécu comme une attaque de l’extérieur, ce qui tend à renforcer encore plus la crispation traditionaliste et intégriste. Juste une appartée : il est clair que ce ne sont ni le Christ, ni Mohammed qui sont la cause du dogmatisme, bien au contraire.. Ils ont apporté un message d’ouverture, d’amour et de développement de soi. Mais les églises chrétiennes comme l’Islam ont (sauf à la marge) interprété ce message avec rigidité, sans comprendre réellement le sens des paroles des ces grands initiés. Malheureusement, il faut avoir soi même déjà suffisamment avancé dans la voie spirituelle pour comprendre ces messages avec toute l’élévation qui s’y trouve, et qui est généralement en désaccord complet avec les traditions religieuses des églises institutionnelles.

Donc Michel Onfray se trompe d’ennemis et sa position aurait été utile au début du XXème siècle. Il frappe un agonisant, le christianisme, alors que la critique actuelle devrait au contraire porter sur l’hédonisme, sur l’individualisme et sur le matérialisme. Non pas pour revenir à une vision dogmatique, mais au contraire pour faire évoluer l’individu vers une conception qui intègre l’individu et le collectif, et qui ré-intègre la spiritualité comme contemplation et vécu de ce qui nous dépasse